Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/298

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est colossal, lui aussi, et il provient de la même carrière. Pourtant il est arrivé à Paris.

Le fût, à la vérité, est effroyable. Il mesure dix-neuf mètres de long sur trois mètres de diamètre. Dressé, il serait imposant et indéboulonnable, celui-là !

Ce qu’il fait là dans l’herbe, on n’en sait rien ! Sa destination première, on l’ignore. On donne pour certain qu’il fut la première idée de la colonne, celle qui rend fier d’être Français quand on la regarde.

Je l’ai donc regardé de mon mieux, et la fierté n’est pas venue. Au contraire, j’ai même senti que je serais plus fier d’être Américain, par exemple, en face de cet abandon, car les Américains ne laisseraient pas trente minutes un pareil spécimen dans l’état où les Français le laissent, et ils le pousseraient, eux, sur le radeau.

L’Île-Rousse forme une antithèse extraordinaire aux ruines féodales et génoises de l’Algajola sa voisine. Oh ! l’Algajola, cette petite cité morne, dont les remparts crénelés croulent depuis quatre cents ans dans l’huile méditerranéenne, où les maisons toujours éventrées, et comme irréparables, alignent, profilent et croisent des rues de décombres pour un peuple de lézards !

L’Algajola, qui a plus de trous sur l’azur que le soir n’y perce d’étoiles, et qui semble poser éternellement pour quelque Isabey le motif pittoresque d’une ville prise d’assaut, bombardée, incendiée et mise à sac, au moyen âge.

Cette Algajola, elle a été ma vraie découverte personnelle en Corse, celle qui me revient et dont je revendique l’honneur.