Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/312

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J’avais d’un côté, comme il convient, une casserole sérieuse pleine d’eau bouillante, et de l’autre une poêle à frire sur le fourneau, et, debout, je songeais.

Je songeais à ceci : doit-on frire les oignons avant de les jeter dans l’eau bouillante, ou doit-on les jeter dans l’eau bouillante avant de les frire ?

Charles, consulté, me déclara qu’il n’en savait absolument rien. Interroger les femmes de l’auberge qui nous regardaient avec stupeur, c’était avouer ma faiblesse. Je m’inspirai des circonstances.

Les circonstances étaient que le beurre était rare et que nous n’en avions qu’un quart de livre. Il fallait donc le ménager. Je demandai de l’huile. Et lorsque j’eus l’huile, je précipitai d’une part la moitié des oignons dans la poêle et de l’autre le reste dans la casserole.

Et j’observai.

Au bout d’une demi-heure, les uns étaient trop cuits et les autres pas assez ! Je regardai Charles.

« Si nous en causions avec ces dames ! » me dit-il.

Malheureusement elles ne parlaient que le dialecte corse, et notre double italien mêlé n’arrivait point à le rejoindre. Je pris alors une décision énergique. Je transvasai les oignons à l’eau dans la poêle à l’huile et les oignons à l’huile dans la casserole d’eau bouillante, et je regardai. Ceux qui étaient trop cuits se recroquevillèrent, et ceux qui ne l’étaient pas assez restèrent dans le même état. J’étais pensif.

L’heure avançait. Je risquai donc de tout mêler et de laisser agir la Providence. Les oignons à l’eau et les oignons à l’huile, confondus, furent savamment réunis dans une marmite à pot-au-feu où il restait