Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/319

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précieusement un petit bouquet de fleurettes qui me fut offert, dans la jolie maison à terrasse, par une jeune fille à laquelle mon humble nom de poète n’était pas entièrement inconnu.

Elle me cita, en me l’offrant, certain poème intitulé Enguerrande, dont l’action se passe en Corse, une Corse chimérique, il est vrai, et de géographie shakespearienne, mais enfin qu’elle avait lu et dont elle avait retenu ce vers :

Les fleurs de la patrie ont le plus doux parfum.

Son bouquet était de violettes.

On descend à Propriano par une route bordée de tombeaux, comme la via Appia. Ils ont toutes les chances, ces diables de Corses, qui se plaignent toujours ! Ils peuvent garder leurs morts hors des nécropoles communes, où la douleur se banalise. On leur permet de construire des mausolées dans leurs jardins, au bord des chemins, près des fontaines, et toute terre pour eux est terre sainte et bénite. Ils échappent ainsi à la tristesse d’un culte morose, pour lequel le départ de l’âme est tragique, et qui semble se défier trop de la logique de son Dieu.

Oui, j’envie à la Corse ce privilège, et j’aimerais à dormir, moi aussi, lorsque l’heure en sera venue, sur les lieux mêmes où j’ai vécu, aimé et tant travaillé, au bord d’un chemin passager où sonnent des clochettes de mules, que parcourent des couples amoureux, et mon squelette cliquetterait gaiement aux lourds cahots des diligences.

Mais il n’y en a que pour ces satanés Corses !

Propriano.