Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/336

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les plâtres. Ce compendium en dirait assez aux initiés de la vie de théâtre, mais j’écris un peu pour les autres, du moins je me l’imagine. Comme en outre dix-sept autres années se seront encore égouttées de l’urne depuis la première sans que ma canonisation ait été proclamée pour cause de martyre avéré sous le consulat de Porel, je n’ai plus à l’espérer vivant, et l’heure me sonne d’en préparer les éléments posthumes.

Dans cette lutte de plus d’un quart de siècle pour un ouvrage qui n’est connu du public que par ses malheurs exemplaires, ma plus grande faute, après celle toutefois d’en avoir accepté la commande, fut de le défendre des ongles et du rostre contre le commandeur. Hélas ! qu’on est encore jeune à quarante-deux ans (tel était mon âge) et comme on est injuste tout de même pour de bonnes gens, dociles aux dieux et qui ne font qu’obéir à leur destinée ! Oui, mon cher Porel, aujourd’hui je comprends, — vous ne pouviez pas jouer le Fracasse, et vous ne le pouviez pas parce que vous ne le deviez pas, étant comme l’archétype du type uniquement créé et modelé par Zeus pour embêter les auteurs sur la terre. Si vous m’aviez épargné entre cent autres, par préférence, il se serait passé ceci que ledit Zeus, irrité de votre révolte contre votre fonction, vous aurait flanqué sur le Caucase, avec, au foie, le vautour, et, cela, c’eût été trop, l’Odéon est déjà dur aux prédestinés. J’ai donc eu tort de vouloir vous acculer dans l’impasse de la rébellion et de tarir contre vous tant de bouteilles de mon encre de bonne humeur. En vous molestant, je ne combattais que les dieux, qui au bout de vingt-six ans, d’ailleurs, vous vengent encore.