il me disait que les pseudonymes s’enchaînent et que j’avais, au Voltaire, endossé en mon frac la tunique terrible de Nessus. Je fis encore au Figaro deux ou trois tentatives pour la dépouiller, mais les plaintes de la clientèle montaient jusqu’à l’administration même, et Marat et Danton engueulaient Robespierre. Il n’y avait plus à lutter contre l’ananké de ma vie, j’envoyai secrètement à Magnard une chronique recopiée par une plume gribouillante à tromper les protes infortunés de Balzac et que je signai : Caliban.
Et les dieux s’apaisèrent, et non seulement les dieux, mais les deux associés récalcitrants eux-mêmes, dont un seul garda méfiance et qui, dix ans après, ne m’avait pas encore pardonné de lui avoir filé entre les jambes. Une fois encore j’achetais le succès du sic vos non vobis qui est mon oracle sibyllique.
L’un des premiers, écoute, Histoire, qui perça mon incognito shakespearien, fut mon vieux détracteur, l’Oncle de la rue de Douai qui, un soir de première, aux Variétés, m’aborda sous le péristyle et me jeta, paterne, dans la conque : — Chut ! Mais à la bonne heure, ça c’est du théâtre !
On m’a souvent demandé ce qui m’avait déterminé au choix de ce pseudonyme : Caliban, qui est le faux de mon passeport de poète, et je ne saurais le dire précisément, en dépit de ma bonne mémoire. Assurément La Tempête y fut pour quelque chose, car je projetais de la traduire en vers, pour Porel, cela va sans dire. Je crois bien toutefois que j’en dus l’aubaine, à un dîner de rimeurs chez Jean Richepin, où l’on en débattait, au bon Ernest Jaubert, l’un des convives, et le même qui, aidé d’Eugène Silvain, est en train de nous rendre Euripide, lequel d’ailleurs