Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/59

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mit longtemps comme un loup sur son anonymat de publiciste politique, et l’amateur exaltait l’art de ces bulletins. « Ils remplacèrent dans la presse, s’écria-t-il, l’article long et compendieux !… » Outre que Francis Magnard, qui possédait à tout le moins son français, eût été fort étonné de voir quel sens est ici prêté au mot « compendieux » et le coq-à-l’âne qui en résulte pour la phrase, il serait encore entré dans une belle colère contre l’assertion hasardeuse dont un vieil ami jetait le pavé de l’ours sur sa mémoire. Il le savait bien, hélas ! il le savait trop, que les articulets monogrammatiques n’avaient rien remplacé du tout dans la presse, et qu’ils ne suffisaient pas à constituer ce qu’il appelait lui-même si facétieusement : une page.

Il me souvient, à ce sujet, d’un mot qui lui échappa un jour, devant moi, et qui m’illumina sa mélancolie comme un éclair. J’avais trouvé sur les quais, à un étalage, dans la case à dix sous (la bonne), un petit livre dont il était l’auteur, et qui est intitulé : Vie et Aventures d’un Positiviste. Ce petit livre, le seul qu’il ait signé, je crois, j’en avais lu les cent deux pages in-32, et j’en avais beaucoup goûté l’érudition désabusée, l’ironie et même le style un peu menu, mais ferme. Je lui en fis des compliments. Mais il me regarda par-dessus le binocle sans répondre d’abord, et se borna à hausser les épaules. Ne voulant pas qu’il me soupçonnât de flagornerie de collaborateur gagé, je n’insistai point et parlai d’autre chose. Il était, ce jour-là, d’une humeur de dogue. Elle ne tint pas contre un bon mot pourtant, car il en était toujours friand. Il se leva, s’accota à la cheminée et en attacha une « bien