Page:Bergerat - Souvenirs d’un enfant de Paris, vol. 4, 1913.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions acquises et y fumer le calumet de paix, entre deux chiens, dans une cheminée où grésille la saucisse. Ces heures dont je vous parle sont précisément celles où le plus grand philosophe de l’humanité me paraît avoir été l’acteur Lepeintre jeune.

Oui, ce Lepeintre jeune m’extasie. Voici d’ailleurs pourquoi : Toutes les fois qu’on lui soumettait un problème difficile, soit social, soit politique, soit littéraire ou autre, il commençait par se frotter le nez, geste d’incertitude, et enfin il nasillait, dit l’histoire :

— Et si je m’en allais ?  !  !  !

Ah ! c’est la solution ! Que nous sommes fous d’en chercher d’autres ! S’en aller, tout est là, et peut-être n’y a-t-il pas autre chose, surtout lorsque l’on a, depuis près d’un quart de siècle, semé la cendre des paroles sur les jachères. Et si je m’en allais ?… Mais il faut pouvoir.

Ne se trouvera-t-il pas, parmi les aimables correspondants qui, chaque semaine, m’accablent, soit d’injures, soit de compliments, une personne vénérable et bonne, assez pitoyable à notre métier de cheval aveugle tournant la meule, pour élire en moi son neveu à héritage ? Il s’en perd tant, de ces fortunes ! Chaque année, le Journal officiel dresse la liste de celles qui tombent dans le gouffre sans fond de l’État, et c’est à pleurer de voir combien il se gaspille de bonheur sur la terre. La moitié de ces fortunes suffirait à imposer silence à tous les poètes poétants d’un temps où tout rime, et tu t’évanouirais, lugubre théorie des désespérés du passage Choiseul ! Oh ! comme je me tairais, mon Dieu !

L’autre soir je lisais Voltaire, car que lire, tant on écrit, et je tombai sur ce passage :