Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/117

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conscients. La tendance en vertu de laquelle nous nous figurons nettement cette extériorité des choses et cette homogénéité de leur milieu est la même qui nous porte à vivre en commun et à parler. Mais à mesure que se réalisent plus complètement les conditions de la vie sociale, à mesure aussi s’accentue davantage le courant qui emporte nos états de conscience du dedans au dehors : petit à petit ces états se transforment en objets ou en choses ; ils ne se détachent pas seulement les uns des autres, mais encore de nous. Nous ne les apercevons plus alors que dans le milieu homogène où nous en avons figé l’image et à travers le moi qui leur prête sa banale coloration. Ainsi se forme un second moi qui recouvre le premier, un moi dont l’existence a des moments distincts, dont les états se détachent les uns des autres et s’expri­ment, sans peine par des mots. Et qu’on ne nous reproche pas ici de dédoubler la personne, d’y introduire sous une autre forme la multiplicité numérique que nous en avions exclue d’abord. C’est le même moi qui aperçoit des états distincts, et qui, fixant ensuite davantage son attention, verra ces états se fondre entre eux comme des aiguilles de neige au contact prolongé de la main Et, à vrai dire, pour la commodité du langage, il a tout intérêt à ne pas rétablir la confusion là où règne l’ordre, et à ne point troubler cet ingénieux arrange­ment d’états en quelque sorte impersonnels par lequel il a cessé de former « un empire dans un empire ». Une vie intérieure aux moments bien distincts, aux états nettement caractérisés, répondra mieux aux exigences de la vie sociale. Même, une psychologie superficielle pourra se contenter de la décrire sans tomber pour cela dans l’erreur, à condition toutefois de se restreindre à l’étude des faits une fois produits, et d’en négliger le mode de formation. — Mais si, passant de la statique à la dynamique, cette psychologie prétend raisonner sur les faits s’accomplissant comme elle a raisonné sur