Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/157

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on s’occupe, à passer par la même série d’états, et à revenir ainsi au moment même où l’acte s’accomplit ; il ne pourra donc plus être question de le prévoir. Dans le second cas, on présuppose l’acte final par cela seul qu’on fait figurer, à côté de l’indication des états, l’apprécia­tion quantitative de leur importance. Ici encore les uns sont conduits à constater simplement que l’acte n’est pas encore accompli au moment où il va s’accomplir, les autres, qu’une fois accompli il l’est définitivement. La ques­tion de la liberté sort intacte de cette discussion, comme de la précédente.

En approfondissant davantage cette double argumentation, nous trouve­rons, à sa racine même, les deux illusions fondamentales de la conscience réfléchie. La première consiste à voir dans l’intensité une propriété mathéma­tique des états psychologiques, et non pas, comme nous le disions au début de cet essai, la qualité spéciale, la nuance propre de ces divers états. La seconde consiste à remplacer la réalité concrète, le progrès dynamique que la conscience perçoit, par le symbole matériel de ce progrès arrivé à son terme, c’est-à-dire du fait accompli joint à la somme de ses antécédents. Certes, une fois consommé l’acte final, je puis assigner à tous les antécédents leur valeur propre, et me représenter sous forme d’un conflit ou d’une composition de forces le jeu combiné de ces éléments divers. Mais demander si, les antécé­dents étant connus ainsi que leur valeur, on pouvait prédire l’acte final, c’est commettre un cercle vicieux ; c’est oublier qu’on se donne, avec la valeur des antécédents, l’action finale qu’il s’agit de prévoir ; c’est supposer à tort que l’image symbolique par laquelle on représente l’opération achevée a été dessinée par cette opération elle-même au cours de son progrès, comme sur un appareil enregistreur.

On verrait d’ailleurs que ces deux illusions, à leur tour, en impliquent une troisième, et que la question de savoir si l’acte pouvait ou ne pouvait pas être prévu revient tou-