Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/161

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calcul, et ne serait perçue que par une conscience capable, non seulement d’assister à ces simultanéités successives, mais d’en vivre les intervalles. On conçoit même que cette conscience pût vivre d’une vie assez lente, assez paresseuse, pour embrasser la trajectoire entière du corps céleste dans une aperception unique, comme il nous arrive à nous-mêmes quand nous voyons se dessiner, sous forme d’une ligne de feu, les positions successives d’une étoile filante. Cette conscience se trouverait alors réellement dans les mêmes conditions où l’astronome se place imaginairement ; elle verrait dans le présent ce que l’astronome aperçoit dans l’avenir. A vrai dire, si celui-ci prévoit un phénomène futur, c’est à la condition d’en faire jusqu’à un certain point un phénomène présent, ou du moins de réduire énormément l’intervalle qui nous en sépare. Bref, le temps dont on parle en astronomie est un nombre, et la nature des unités de ce nombre ne saurait être spécifiée dans les calculs : on peut donc les supposer aussi petites qu’on voudra, pourvu que la même hypothèse s’étende à toute la série des opérations, et que les rapports successifs de position dans l’espace se trouvent ainsi conservés. On assistera alors, en imagination, au phénomène que l’on veut prédire ; on saura à quel point précis de l’espace et après combien d’unités de temps ce phénomène se produit ; il suffira ensuite de restituer à ces unités leur nature psychique pour repousser l’événement dans l’avenir, et dire qu’on l’a prévu, alors qu’en réalité on l’a vu.

Mais ces unités de temps, qui constituent la durée vécue, et dont l’astro­nome peut disposer comme il lui plaît parce qu’elles n’offrent point de prise à la science, sont précisément ce qui intéresse le psychologue, car la psycho­logie porte sur les intervalles eux-mêmes, et non plus sur leurs extrémités. Certes, la conscience pure n’aperçoit pas le temps sous forme d’une somme d’unités de durée ; laissée à elle-même, elle n’a aucun moyen, aucune raison même