Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/38

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encore et surtout à ceux qui se préparent, à ceux qui voudraient être.

Il est vrai qu’on ne voit pas d’abord comment cette hypothèse simplifie le problème. Car nous cherchons ce qu’il peut y avoir de commun entre un phénomène physique et un état de conscience au point de vue de la grandeur, et il semble qu’on se borne à retourner la difficulté quand on fait de l’état de conscience présent un indice de la réaction à venir, plutôt qu’une traduction psychique de l’excitation passée. La différence est considérable cependant entre les deux hypothèses. Car les ébranlements moléculaires dont on parlait tout à l’heure étaient nécessairement inconscients, puisque rien ne pouvait subsister de ces mouvements eux-mêmes dans la sensation qui les traduisait. Mais les mouvements automatiques qui tendent à suivre l’excitation subie, et qui en constitueraient le prolongement naturel, sont vraisemblablement con­scients en tant que mouvements : ou bien alors la sensation elle-même, dont le rôle est de nous inviter à un choix entre cette réaction automatique et d’autres mouvements possibles, n’aurait aucune raison d’être. L’intensité des sensations affectives ne serait donc que la conscience que nous prenons des mouvements involontaires qui commencent, qui se dessinent en quelque sorte dans ces états, et qui auraient suivi leur libre cours si la nature eût fait de nous des automates, et non des êtres conscients.

Si ce raisonnement est fondé, on ne devra pas comparer une douleur d’intensité croissante à une note de la gamme qui deviendrait de plus en plus sonore, mais plutôt à une symphonie, où un nombre croissant d’instruments se feraient entendre. Au sein de la sensation caractéristique, qui donne le ton à toutes les autres, la conscience démêlera une multiplicité plus ou moins con­sidérable de sensations émanant des différents points de la périphérie, contrac­tions musculaires, mouvements organiques de tout genre : le