Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/41

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En présence de plusieurs plaisirs conçus par l’intelligence, notre corps s’oriente vers l’un d’eux spontanément, comme par une action réflexe. Il dépend de nous de l’arrêter, mais l’attrait du plaisir n’est point autre chose que ce mouvement commencé, et l’acuité même du plaisir, pendant qu’on le goûte, n’est que l’inertie de l’organisme qui s’y noie, refusant toute autre sensation. Sans cette force d’inertie, dont nous prenons conscience par la résistance que nous opposons à ce qui pourrait nous distraire, le plaisir serait encore un état, mais non plus une grandeur. Dans le monde moral, comme dans le monde physique, l’attraction sert à expliquer le mouvement plutôt qu’à le produire.

Nous avons étudié à part les sensations affectives. Remarquons maintenant que beaucoup de sensations représentatives ont un caractère affectif, et provoquent ainsi de notre part une réaction dont nous tenons compte dans l’appréciation de leur intensité. Un accroissement considérable de lumière se traduit pour nous par une sensation caractéristique, qui n’est pas encore de la douleur, mais qui présente des analogies avec l’éblouissement. A mesure que l’amplitude de la vibration sonore augmente, notre tête, puis notre corps nous font l’effet de vibrer ou de recevoir un choc. Certaines sensations représen­tatives, celles de saveur, d’odeur et de température, ont même constamment un caractère agréable ou désagréable. Entre des saveurs plus ou moins amères, vous ne démêleriez guère que des différences de qualité ; ce sont comme les nuances d’une même couleur. Mais ces différences de qualité s’interprètent aussitôt comme des différences de quantité, à cause de leur caractère affectif et des mouvements plus ou moins prononcés de réaction, plaisir ou dégoût, qu’elles nous suggèrent. En outre, même quand la sensation reste purement représentative, sa cause extérieure ne peut dépasser un certain degré de force ou de faiblesse sans provoquer de notre part des