Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/59

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loi vérifiée, où l’apparition de la sensation était seule en cause, à une loi invérifiable, qui en donne la mesure.

Sans entrer dans une discussion approfondie de cette ingénieuse opération, montrons en quelques mots comment Fechner a saisi la véritable difficulté du problème, comment il a essayé de la surmonter, et où réside, selon nous, le vice de son raisonnement.

Fechner a compris qu’on ne saurait introduire la mesure en psychologie sans y définir d’abord l’égalité et l’addition de deux états simples, de deux sensations par exemple. D’autre part, à moins d’être identiques, on ne voit pas d’abord comment deux sensations seraient égales. Sans doute, dans le monde physique, égalité n’est point synonyme d’identité. Mais c’est que tout phéno­mène, tout objet, s’y présente sous un double aspect, l’un qualitatif, l’autre extensif : rien n’empêche de faire abstraction du premier, et il ne reste plus alors que des termes capables d’être superposés directement ou indirectement l’un à l’autre, et de s’identifier ensemble par conséquent. Or, cet élément qualitatif, que l’on commence par éliminer des choses extérieures pour en rendre la mesure possible, est précisément celui que la psychophysique retient et prétend mesurer. Et c’est en vain qu’elle chercherait à évaluer cette qualité Q par quelque quantité physique Q’située au-dessous d’elle ; car il faudrait préalablement avoir montré que Q est fonction de Q’et ceci ne pourrait se faire que si l’on avait d’abord mesuré la qualité Q avec quelque fraction d’elle-même. Ainsi, rien n’empêcherait de mesurer la sensation de chaleur par le degré de température ; mais ce ne serait là qu’une convention, et la psycho­physique consiste précisément à repousser cette convention et à chercher comment la sensation de chaleur