Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/65

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nos connaissances s’accrois­sent, plus nous apercevons l’extensif derrière l’intensif et la quantité derrière la qualité, plus aussi nous tendons à mettre le premier terme dans le second, et à traiter nos sensations comme des grandeurs. La physique, dont le rôle est précisément de soumettre au calcul la cause extérieure de nos états internes, se préoccupe le moins possible de ces états eux-mêmes — sans cesse, et de parti pris, elle les confond avec leur cause. Elle encourage donc et exagère même sur ce point l’illusion du sens commun. Le moment devait fatalement arriver où, familiarisée avec cette confusion de la qualité avec la quantité et de la sensation avec l’excitation, la science chercherait à mesurer l’une comme elle mesure l’autre : tel a été l’objet de la psychophysique. A cette tentative hardie Fechner était encouragé par ses adversaires eux-mêmes, par les philosophes qui parlent de grandeurs intensives tout en déclarant les états psychiques réfractaires à la mesure. Si l’on admet, en effet, qu’une sensation puisse être plus forte qu’une autre sensation, et que cette inégalité réside dans les sensa­tions mêmes, indépendamment de toute association d’idées, de toute considération plus ou moins consciente de nombre et d’espace, il est naturel de chercher de combien la première sensation surpasse la seconde, et d’établir un rapport quantitatif entre leurs intensités. Et il ne sert à rien de répondre, comme font souvent les adversaires de la psychophysique, que toute mesure implique superposition, et qu’il n’y a pas lieu de chercher un rapport numé­rique entre des intensités, qui ne sont pas choses superposables. Car il faudra alors expliquer pourquoi une sensation est dite plus intense qu’une autre sensation, et comment on peut appeler plus grandes ou plus petites des choses qui — on vient de le reconnaître — n’admettent point entre elles des relations de contenant à contenu. Que si, pour couper court à toute question de ce genre, on distingue deux