Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/71

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bien que je retienne les images successives et que je les juxtapose à chacune des unités nouvelles dont j’évoque l’idée : or c’est dans l’espace qu’une pareille juxtaposition s’opère, et non dans la durée pure. On nous accordera d’ailleurs sans peine que toute opération par laquelle on compte des objets matériels implique la représentation simultanée de ces objets, et que, par là même, on les laisse dans l’espace. Mais cette intuition de l’espace accompagne-t-elle toute idée de nombre, même celle d’un nombre abstrait ?

Pour répondre à cette question, il suffira à chacun de passer en revue les diverses formes que l’idée de nombre a prises pour lui depuis son enfance. On verra que nous avons commencé par imaginer une rangée de boules, par exemple, puis que ces boules sont devenues des points, puis enfin que cette image elle-même s’est évanouie pour ne plus laisser derrière elle, disons-nous, que le nombre abstrait. Mais à ce moment aussi le nombre a cessé d’être imaginé et même d’être pensé ; nous n’avons conservé de lui que le signe, nécessaire au calcul, par lequel on est convenu de l’exprimer. Car on peut fort bien affirmer que 12 est la moitié de 24 sans penser ni le nombre 12 ni le nombre 24 : même, pour la rapidité des opérations, on a tout intérêt à n’en rien faire. Mais, dès qu’on désire se représenter le nombre, et non plus seulement des chiffres ou des mots, force est bien de revenir à une image étendue. Ce qui fait illusion sur ce point, c’est l’habitude contractée de compter dans le temps, semble-t-il, plutôt que dans l’espace. Pour imaginer le nombre cinquante, par exemple, on répétera tous les nombres à partir de l’unité ; et quand on sera arrivé au cinquantième, on croira bien avoir construit ce nombre dans la durée, et dans la durée seulement. Et il est incontestable qu’on aura compté ainsi des moments de la durée, plutôt que des points de l’espace ; mais la question est de savoir