Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/85

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estimons d’ailleurs que si la représentation d’un espace homogène est due à un effort de l’intelli­gence, inversement il doit y avoir dans les qualités mêmes qui différencient deux sensations une raison en vertu de laquelle elles occupent dans l’espace telle ou telle place déterminée. Il faudrait donc distinguer entre la perception de l’étendue et la conception de l’espace : elles sont sans doute impliquées l’une dans l’autre, mais, plus on s’élèvera dans la série des êtres intelligents, plus se dégagera avec netteté l’idée indépendante d’un espace homogène. En ce sens, il est douteux que l’animal perçoive le monde extérieur absolument comme nous, et surtout qu’il s’en représente tout à fait comme nous l’exté­riorité. Les naturalistes ont signalé, comme un fait digne de remarque, l’étonnante facilité avec laquelle beaucoup de vertébrés et même quelques insectes arrivent à se diriger dans l’espace. On a vu des animaux revenir presque en ligne droite à leur ancienne demeure, parcourant, sur une longueur qui peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres, un chemin qu’ils ne connaissaient pas encore. On a essayé d’expliquer ce sentiment de la direction par la vue ou l’odorat, et plus récemment par une perception des courants magnétiques, qui permettrait à l’animal de s’orienter comme une boussole. Cela revient à dire que l’espace n’est pas aussi homogène pour l’animal que pour nous, et que les déterminations de l’espace, ou directions, ne revêtent point pour lui une forme purement géométrique. Chacune d’elles lui apparaî­trait avec sa nuance, avec sa qualité propre. On comprendra la possibilité d’une perception de ce genre, si l’on songe que nous distinguons nous-mêmes notre droite de notre gauche par un sentiment naturel, et que ces deux déter­minations de notre propre étendue, nous présentent bien alors une différence de qualité ; c’est même pourquoi nous échouons à les définir. A vrai dire, les différences qualitatives sont