Page:Bergson - Essai sur les données immédiates de la conscience.djvu/96

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symbolique de la durée, tirée de l’espace. La durée prend ainsi la forme illusoire d’un milieu homogène, et le trait d’union entre ces deux termes, espace et durée, est la simultanéité, qu’on pourrait définir l’intersection du temps avec l’espace.

En soumettant à la même analyse le concept de mouvement, symbole vivant d’une durée en apparence homogène, nous serons amenés à opérer une dissociation du même genre. On dit le plus souvent qu’un mouvement a lieu dans l’espace, et quand on déclare le mouvement homogène et divisible, c’est à l’espace parcouru que l’on pense, comme si on pouvait le confondre avec le mouvement lui-même. Or, en y réfléchissant davantage, on verra que les positions successives du mobile occupent bien en effet de l’espace, mais que l’opération par laquelle il passe d’une position à l’autre, opération qui occupe de la durée et qui n’a de réalité que pour un spectateur conscient, échappe à l’espace. Nous n’avons point affaire ici à une chose, mais à un progrès : le mouvement, en tant que passage d’un point à un autre, est une synthèse mentale, un processus psychique et par suite inétendu. Il n’y a dans l’espace que des parties d’espace, et en quelque point de l’espace que l’on considère le mobile, on n’obtiendra qu’une position. Si la conscience perçoit autre chose que des positions, c’est qu’elle se remémore les positions successives et en fait la synthèse. Mais comment opère-t-elle une synthèse de ce genre ? Ce ne peut être par un nouveau déploiement de ces mêmes positions dans un milieu homogène, car une nouvelle synthèse deviendrait nécessaire pour relier les positions entre elles, et ainsi de suite indéfiniment. Force est donc bien d’admettre qu’il y a ici une synthèse pour ainsi dire qualitative, une orga­nisation graduelle de nos sensations successives les unes avec les autres, une unité analogue à celle d’une phrase mélodique. Telle est précisément l’idée que nous nous faisons