Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/107

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pendant quelques instants le rêve qui va s’envoler, — s’envoler du champ de la vision et bientôt aussi, sans doute, de celui de la mémoire. Alors on voit les objets du rêve se dissoudre en phosphènes, et se confondre avec les taches colorées que l’œil apercevait réellement quand il avait les paupières closes. On lisait par exemple un journal : voilà le rêve. On se réveille, et du journal dont les lignes s’estompent il reste une tache blanche avec de vagues raies noires : voilà la réalité. Ou bien encore le rêve nous promenait en pleine mer ; à perte de vue, l’océan développait ses vagues grises couronnées d’une blanche écume. Au réveil, tout vient se perdre dans une grande tache d’un gris pâle parsemée de points brillants. La tache était là, les points brillants aussi. Il y avait donc bien, offerte à notre perception pendant notre Sommeil, une poussière visuelle, et cette poussière a servi à la fabrication du rêve.

Sert-elle toute seule ? Pour ne parler encore que du sens de la vue, disons qu’à côté des sensations visuelles dont la source est interne il en est qui ont une cause extérieure. Les paupières ont beau être closes, l’œil distingue encore la lumière de l’ombre et reconnaît même, jusqu’à un certain point, la nature de la lumière. Or, les sensations provoquées par une lumière réelle sont à l’origine de beaucoup de nos rêves. Une bougie qu’on allume brusquement fera surgir chez le dormeur, si son sommeil n’est pas trop profond, un ensemble de visions que dominera l’idée d’incendie. Tissié en cite deux exemples : « B… rêve que le théâtre d’Alexandrie est en feu ; la flamme éclaire tout un quartier. Tout à coup il se trouve transporté au milieu du bassin de la place des Consuls ; une