Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/133

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avec elle, mais qui en diffèrent par leur aspect général. M. Arnaud a décrit en 1896 un cas remarquable qu’il étudiait depuis trois ans déjà : pendant ces trois années le sujet avait éprouvé ou cru éprouver, d’une manière continue, l’illusion de fausse reconnaissance, s’imaginant revivre à nouveau toute sa vie[1]. Ce cas n’est d’ailleurs pas unique ; nous croyons qu’il faut le rapprocher d’un cas déjà ancien de Pick[2], d’une observation de Kraepelin[3], et aussi de celle de Forel[4]. La lecture de ces observations fait tout de suite penser à quelque chose d’assez différent de la fausse reconnaissance. Il ne s’agit plus d’une impression brusque et courte, qui surprend par son étrangeté. Le sujet trouve au contraire que ce qu’il éprouve est normal ; il a parfois besoin de cette impression, il la cherche quand elle lui manque et la croit d’ailleurs plus continue qu’elle ne l’est en réalité. Maintenant, à y regarder de près, on découvre des différences autrement profondes. Dans la fausse reconnaissance, le souvenir illusoire n’est jamais localisé en un point du passé ; il habite un passé indéterminé, le passé en général. Ici, au contraire, les sujets rapportent souvent à des dates précises leurs prétendues expériences antérieures ; ils sont en proie à une véritable hallucination de la mémoire. Remarquons en outre que ce sont tous des aliénés : celui de Pick, ceux de Forel et d’Arnaud ont des idées délirantes de persécution ; celui de Kraepelin est un maniaque, halluciné de la vue et de l’ouïe. Peut-être faudrait-il rapprocher leur trouble mental de celui

  1. Arnaud, Un cas d’illusion de « déjà vu », Annales médico-psychologiques, 8e série, vol. III, 1896, p. 455-470.
  2. Arch. f. Psychiatrie, vol. VI, 1876, p. 568-574.
  3. Arch. f. Psychiatrie, vol. XVIII, 1887, p. 428.
  4. Forel, Das Gedächtnis und seine Abnormitäten, Zürich, 1885, pp. 44-45.