Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/182

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crayon et du papier, et nous luttions séparément à qui décrirait un plus grand nombre d’objets que nous avions pu saisir au passage..... Il arrivait souvent à mon fils d’inscrire une quarantaine d’objets..... » Le but de cette éducation spéciale était de mettre l’enfant à même de saisir d’un seul coup d’œil, dans une salle de spectacle, tous les objets portés sur eux par tous les assistants : alors, les yeux bandés, il simulait la seconde-vue en décrivant, sur un signe conventionnel de son père, un objet choisi au hasard par un des spectateurs. Cette mémoire visuelle s’était développée à tel point qu’après quelques instants passés devant une bibliothèque l’enfant retenait un assez grand nombre de titres, avec la place exacte des volumes correspondants. Il prenait, en quelque sorte, une photographie mentale du tout, qui permettait ensuite le rappel immédiat des parties. Mais, dès la première leçon, et dans l’interdiction même d’additionner entre eux les points des dominos, nous apercevons le ressort principal de cette éducation de la mémoire. Toute interprétation de l’image visuelle était exclue de l’acte de vision : l’intelligence était maintenue sur le plan des images visuelles.

C’est sur le plan des images auditives ou des images d’articulation qu’il faut la laisser pour donner une mémoire du même genre à l’oreille. Parmi les méthodes proposées pour l’enseignement des langues figure celle de Prendergast[1], dont le principe a été plus d’une fois utilisé. Elle consiste à faire prononcer d’abord des phrases dont on ne permet pas à l’élève de chercher la signification.

  1. Prendergast, Handbook of the mastery series, London, 1868.