Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/185

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multiplicité des images semble se condenser en une représentation unique, simple et indivisée. C’est cette représentation que l’on confie à sa mémoire. Alors, quand viendra le moment du rappel, on redescendra du sommet de la pyramide vers la base. On passera, du plan supérieur où tout était ramassé dans une seule représentation, à des plans de moins en moins élevés, de plus en plus voisins de la sensation, où la représentation simple est éparpillée en images, où les images se développent en phrases et en mots. Il est vrai que le rappel ne sera plus immédiat et facile. Il s’accompagnera d’effort.

Avec cette seconde méthode, il faudra sans doute plus de temps pour se rappeler, mais il en faudra moins pour apprendre. Le perfectionnement de la mémoire, comme on l’a fait remarquer bien souvent, est moins un accroissement de retentivité qu’une plus grande habileté à subdiviser, coordonner et enchaîner les idées. Le prédicateur cité par W. James mettait d’abord trois ou quatre jours à apprendre un sermon par cœur. Plus tard, il n’en fallait plus que deux, puis un seul : finalement, une lecture unique, attentive et analytique, suffisait[1]. Le progrès n’est évidemment ici qu’une aptitude croissante à faire converger toutes les idées, toutes les images, tous les mots sur un seul point. Il s’agit d’obtenir la pièce unique dont tout le reste n’est que la monnaie.

Quelle est cette pièce unique ? Comment tant d’images diverses tiennent-elles implicitement dans une représentation simple ? Nous aurons à revenir sur ce point. Bornons-nous pour le moment à mettre sur la repré-

  1. W. James, Principles of Psychology, vol. I, p. 667 (note).