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Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/30

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suivant une troisième ligne de faits, en considérant, chez l’être vivant, la représentation qui précède l’acte, et non plus l’action même. À quel signe reconnaissons-nous d’ordinaire l’homme d’action, celui qui laisse sa marque sur les événements auxquels la fortune le mêle ? N’est-ce pas à ce qu’il embrasse une succession plus ou moins longue dans une vision instantanée ? Plus grande est la portion du passé qui tient dans son présent, plus lourde est la masse qu’il pousse dans l’avenir pour presser contre les éventualités qui se préparent : son action, semblable à une flèche, se décoche avec d’autant plus de force en avant que sa représentation était plus tendue vers l’arrière. Or, voyez comme notre conscience se comporte vis-à-vis de la matière qu’elle perçoit : justement, dans un seul de ses instants, elle embrasse des milliers de millions d’ébranlements qui sont successifs pour la matière inerte et dont le premier apparaîtrait au dernier, si la matière pouvait se souvenir, comme un passé infiniment lointain. Quand j’ouvre les yeux pour les refermer aussitôt, la sensation de lumière que j’éprouve, et qui tient dans un de mes moments, est la condensation d’une histoire extraordinairement longue qui se déroule dans le monde extérieur. Il y a là, se succédant les unes aux autres, des trillions d’oscillations, c’est-à-dire une série d’événements telle que si je voulais les compter, même avec la plus grande économie de temps possible, j’y mettrais des milliers d’années. Mais ces événements monotones et ternes, qui rempliraient trente siècles d’une matière devenue consciente d’elle-même, n’occupent qu’un instant de ma conscience à moi, capable de les contracter en une sensation pittoresque de lumière. On en dirait d’ailleurs