Page:Bergson - L’Énergie spirituelle.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mécanisme qui extraira de la conscience tout ce qui est utilisable pour l’action, quitte à obscurcir la plus grande partie du reste. Tel est le rôle du cerveau dans l’opération de la mémoire : il ne sert pas à conserver le passé, mais à le masquer d’abord, puis à en laisser transparaître ce qui est pratiquement utile. Et tel est aussi le rôle du cerveau vis-à-vis de l’esprit en général. Dégageant de l’esprit ce qui est extériorisable en mouvement, insérant l’esprit dans ce cadre moteur, il l’amène à limiter le plus souvent sa vision, mais aussi à rendre son action efficace. C’est dire que l’esprit déborde le cerveau de toutes parts, et que l’activité cérébrale ne répond qu’à une infime partie de l’activité mentale.

Mais c’est dire aussi que la vie de l’esprit ne peut pas être un effet de la vie du corps, que tout se passe au contraire comme si le corps était simplement utilisé par l’esprit, et que dès lors nous n’avons aucune raison de supposer que le corps et l’esprit soient inséparablement liés l’un à l’autre. Vous pensez bien que je ne vais pas trancher au pied levé, pendant la demi-minute qui me reste, le plus grave des problèmes que puisse se poser l’humanité. Mais je m’en voudrais de l’éluder. D’où venons-nous ? Que faisons-nous ici-bas ? Où allons-nous ? Si vraiment la philosophie n’avait rien à répondre à ces questions d’un intérêt vital, ou si elle était incapable de les élucider progressivement comme on élucide un problème de biologie ou d’histoire, si elle ne pouvait pas les faire bénéficier d’une expérience de plus en plus approfondie, d’une vision de plus en plus aiguë de la réalité, si elle devait se borner à mettre indéfiniment aux prises ceux qui affirment et