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L’HÉRÉDITÉ DE L’ACQUIS

ment chimique qu’elle aura déterminé dans le plasma germinatif : ce changement chimique pourra, par exception, ramener la modification originelle dans l’organisme que le germe va développer, mais il y a autant et plus de chances pour qu’il fasse autre chose. Dans ce dernier cas, l’organisme engendré s’écartera peut-être du type normal autant que l’organisme générateur, mais il s’en écartera différemment. Il aura hérité de l’écart et non pas du caractère. En général, donc, les habitudes contractées par un individu n’ont probablement aucun retentissement sur sa descendance ; et, quand elles en ont, la modification survenue chez les descendants peut n’avoir aucune ressemblance visible avec la modification originelle. Telle est du moins l’hypothèse qui nous paraît la plus vraisemblable. En tous cas, jusqu’à preuve du contraire, et tant qu’on n’aura pas institué les expériences décisives réclamées par un biologiste éminent[1], nous devons nous en tenir aux résultats actuels de l’observation. Or, en mettant les choses au mieux pour la thèse de la transmissibilité des caractères acquis, en supposant que le prétendu caractère acquis ne soit pas, dans la plupart des cas, le développement plus ou moins tardif d’un caractère inné, les faits nous montrent que la transmission héréditaire est l’exception et non pas la règle. Comment attendre d’elle qu’elle développe un organe tel que l’œil ? Quand on pense au nombre énorme de variations, toutes dirigées dans le même sens, qu’il faut supposer accumulées les unes sur les autres pour passer de la tache pigmentaire de l’Infusoire à l’œil du Mollusque et du Vertébré, on se demande comment l’hérédité, telle que nous l’observons, aurait jamais déterminé cet amoncellement de différences, à supposer que

  1. Giard, Controverses transformistes, Paris, 1904, p. 147.