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L’ÉLAN VITAL

celui de l’ouvrier qui procède, lui aussi, par assemblage de parties en vue de la réalisation d’une idée ou de l’imitation d’un modèle. Le mécanisme reprochera donc avec raison au finalisme son caractère anthropomorphique. Mais il ne s’aperçoit pas qu’il procède lui-même selon cette méthode, en la tronquant, simplement. Sans doute il a fait table rase de la fin poursuivie ou du modèle idéal. Mais il veut, lui aussi, que la nature ait travaillé comme l’ouvrier humain, en assemblant des parties. Un simple coup d’œil jeté sur le développement d’un embryon lui eût pourtant montré que la vie s’y prend tout autrement. Elle ne procède pas par association et addition d’éléments, mais par dissociation et dédoublement.

Il faut donc dépasser l’un et l’autre points de vue, celui du mécanisme et celui du finalisme, lesquels ne sont, au fond, que des points de vue où l’esprit humain a été conduit par le spectacle du travail de l’homme. Mais dans quel sens les dépasser ? Nous disions que, de décomposition en décomposition, quand on analyse la structure d’un organe, on va à l’infini, quoique le fonctionnement du tout soit chose simple. Ce contraste entre la complication à l’infini de l’organe et la simplicité extrême de la fonction est précisément ce qui devrait nous ouvrir les yeux.

En général, quand un même objet apparaît d’un côté comme simple et de l’autre comme indéfiniment composé, les deux aspects sont loin d’avoir la même importance, ou plutôt le même degré de réalité. La simplicité appartient alors à l’objet même, et l’infini de complication à des vues que nous prenons sur l’objet en tournant autour de lui, aux symboles juxtaposés par lesquels nos sens ou notre intelligence nous le représentent, plus généralement à des éléments d’ordre différent avec lesquels nous