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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

aux accidents du terrain ; mais les accidents de terrain ne sont pas cause de la route et ne lui ont pas non plus imprimé sa direction. À chaque moment ils lui fournissent l’indispensable, le sol même sur lequel elle se pose ; mais si l’on considère le tout de la route et non plus chacune de ses parties, les accidents de terrain n’apparaissent plus que comme des empêchements ou des causes de retard, car la route visait simplement la ville et aurait voulu être une ligne droite. Ainsi pour l’évolution de la vie et pour les circonstances qu’elle traverse, avec cette différence toutefois que l’évolution ne dessine pas une route unique, qu’elle s’engage dans des directions sans pourtant viser des buts, et qu’enfin elle reste inventive jusque dans ses adaptations.

Mais, si l’évolution de la vie est autre chose qu’une série d’adaptations à des circonstances accidentelles, elle n’est pas davantage la réalisation d’un plan. Un plan est donné par avance. Il est représenté, ou tout au moins représentable avant le détail de sa réalisation. L’exécution complète en peut être repoussée dans un avenir lointain, reculée même indéfiniment : l’idée n’en est pas moins formulable, dès maintenant, en termes actuellement donnés. Au contraire, si l’évolution est une création sans cesse renouvelée, elle crée au fur et à mesure, non seulement les formes de la vie, mais les idées qui permettraient à une intelligence de la comprendre, les termes qui serviraient à l’exprimer. C’est dire que son avenir déborde son présent et ne pourrait s’y dessiner en une idée.

Là est la première erreur du finalisme. Elle en entraîne une autre, plus grave encore.

Si la vie réalise un plan, elle devra manifester une harmonie plus haute à mesure qu’elle avancera plus loin. Telle, la maison dessine de mieux en mieux l’idée de l’archi-