Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
165
FONCTION NATURELLE DE L’INTELLIGENCE

l’entendement pour je ne sais quoi d’absolu, d’irréductible et d’inexplicable. L’entendement serait tombé du ciel avec sa forme, comme nous naissons chacun avec notre visage. On définit cette forme, sans doute, mais c’est tout ce qu’on peut faire, et il n’y a pas à chercher pourquoi elle est ce qu’elle est plutôt que tout autre chose. Ainsi, l’on enseignera que l’intelligence est essentiellement unification, que toutes ses opérations ont pour objet commun d’introduire une certaine unité dans la diversité des phénomènes, etc. Mais, d’abord, « unification » est un terme vague, moins clair que celui de « relation » ou même que celui de « pensée », et qui n’en dit pas davantage. De plus, on pourrait se demander si l’intelligence n’aurait pas pour fonction de diviser, plus encore que d’unir. Enfin, si l’intelligence procède comme elle fait parce qu’elle veut unir, et si elle cherche l’unification simplement parce qu’elle en a besoin, notre connaissance devient relative à certaines exigences de l’esprit qui auraient pu, sans doute, être tout autres qu’elles ne sont. Pour une intelligence autrement conformée, autre eût été la connaissance. L’intelligence n’étant plus suspendue à rien, tout se suspend alors à elle. Et ainsi, pour avoir placé l’entendement trop haut, on aboutit à mettre trop bas la connaissance qu’il nous donne. Cette connaissance devient relative, du moment que l’intelligence est une espèce d’absolu. Au contraire, nous tenons l’intelligence humaine pour relative aux nécessités de l’action. Posez l’action, la forme même de l’intelligence s’en déduit. Cette forme n’est donc ni irréductible ni inexplicable. Et, précisément parce qu’elle n’est pas indépendante, on ne peut plus dire que la connaissance dépende d’elle. La connaissance cesse d’être un produit de l’intelligence pour devenir, en un certain sens, partie intégrante de la réalité.