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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

gentes. C’est à l’extrémité de deux de ces lignes, — les deux principales, — que nous trouvons l’intelligence et l’instinct sous leurs formes à peu près pures. Pourquoi l’instinct se résoudrait-il alors en éléments intelligents ? Pourquoi même en termes tout à fait intelligibles ? Ne voit-on pas que penser ici à de l’intelligent, ou à de l’absolument intelligible, est revenir à la théorie aristotélicienne de la nature ? Sans doute il vaudrait encore mieux y revenir que de s’arrêter net devant l’instinct, comme devant un insondable mystère. Mais, pour n’être pas du domaine de l’intelligence, l’instinct n’est pas situé hors des limites de l’esprit. Dans des phénomènes de sentiment, dans des sympathies et des antipathies irréfléchies, nous expérimentons en nous-mêmes, sous une forme bien plus vague, et trop pénétrée aussi d’intelligence, quelque chose de ce qui doit se passer dans la conscience d’un insecte agissant par instinct. L’évolution n’a fait qu’écarter l’un de l’autre, pour les développer jusqu’au bout, des éléments qui se compénétraient à l’origine. Plus précisément, l’intelligence est, avant tout, la faculté de rapporter un point de l’espace à un autre point de l’espace, un objet matériel à un objet matériel ; elle s’applique à toutes choses, mais en restant en dehors d’elles, et elle n’aperçoit jamais d’une cause profonde que sa diffusion en effets juxtaposés. Quelle que soit la force qui se traduit dans la genèse du système nerveux de la Chenille, nous ne l’atteignons, avec nos yeux et notre intelligence, que comme une juxtaposition de nerfs et de centres nerveux. Il est vrai que nous en atteignons ainsi tout l’effet extérieur. Le Sphex, lui, n’en saisit sans doute que peu de chose, juste ce qui l’intéresse ; du moins le saisit-il du dedans, tout autrement que par un processus de connaissance, par une intuition (vécue plu-