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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

objet les mêmes formes, transportant dans ce nouveau domaine les mêmes habitudes qui lui ont si bien réussi dans l’ancien. Et elle a raison de le faire, car à cette condition seulement le vivant offrira à notre action la même prise que la matière inerte. Mais la vérité où l’on aboutit ainsi devient toute relative à notre faculté d’agir. Ce n’est plus qu’une vérité symbolique. Elle ne peut pas avoir la même valeur que la vérité physique, n’étant qu’une extension de la physique à un objet dont nous convenons a priori de n’envisager que l’aspect extérieur. Le devoir de la philosophie serait donc d’intervenir ici activement, d’examiner le vivant sans arrière-pensée d’utilisation pratique, en se dégageant des formes et des habitudes proprement intellectuelles. Son objet à elle est de spéculer, c’est-à-dire de voir ; son attitude vis-à-vis du vivant ne saurait être celle de la science, qui ne vise qu’à agir, et qui, ne pouvant agir que par l’intermédiaire de la matière inerte, envisage le reste de la réalité sous cet unique aspect. Qu’arrivera-t-il donc si elle abandonne à la science positive toute seule les faits biologiques et les faits psychologiques, comme elle lui a laissé, à bon droit, les faits physiques ? A priori elle acceptera une conception mécanistique de la nature entière, conception irréfléchie et même inconsciente, issue du besoin matériel. A priori elle acceptera la doctrine de l’unité simple de la connaissance, et de l’unité abstraite de la nature.

Dès lors la philosophie est faite. Le philosophe n’a plus le choix qu’entre un dogmatisme et un scepticisme métaphysiques qui reposent, au fond, sur le même postulat, et qui n’ajoutent rien à la science positive. Il pourra hypostasier l’unité de la nature ou, ce qui revient au même, l’unité de la science, dans un être qui ne sera rien