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LES GENRES ET LES LOIS

même manière, l’existence de lois dans le domaine de la matière inerte et celle de genres dans le domaine de la vie.

Que d’ailleurs cette confusion soit à l’origine de la plupart des difficultés soulevées par le problème de la connaissance, chez les anciens comme chez les modernes, cela ne nous paraît pas douteux. En effet, la généralité des lois et celle des genres étant désignées par le même mot, subsumées à la même idée, l’ordre géométrique et l’ordre vital étaient dès lors confondus ensemble. Selon le point de vue où l’on se plaçait, la généralité des lois était expliquée par celle des genres, ou celle des genres par celles des lois. Des deux thèses ainsi définies, la première est caractéristique de la pensée antique ; la seconde appartient à la philosophie moderne. Mais, dans l’une et l’autre philosophies, l’idée de « généralité » est une idée équivoque, qui réunit dans son extension et dans sa compréhension des objets et des éléments incompatibles entre eux. Dans l’une et dans l’autre, on groupe sous le même concept deux espèces d’ordre qui se ressemblent simplement par la facilité qu’ils donnent à notre action sur les choses. On rapproche deux termes en vertu d’une similitude tout extérieure, qui justifie sans doute leur désignation par le même mot dans la pratique, mais qui ne nous autorise pas du tout, dans le domaine spéculatif, à les confondre dans la même définition.

Les anciens, en effet, ne se sont pas demandé pourquoi la nature se soumet à des lois, mais pourquoi elle s’ordonne selon des genres. L’idée de genre correspond surtout à une réalité objective dans le domaine de la vie, où elle traduit un fait incontestable, l’hérédité. Il ne peut d’ailleurs y avoir de genres que là où il y a des objets individuels : or, si l’être organisé est découpé dans l’en-