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LES GENRES ET LES LOIS

radicalement, aussi définitivement relative que le disent certains philosophes, si l’on pouvait établir qu’elle porte sur une réalité d’ordre inverse, réalité que nous exprimons toujours en lois mathématiques, c’est-à-dire en relations qui impliquent des comparaisons, mais qui ne se prête à ce travail que parce qu’elle est lestée de spatialité et par conséquent de géométrie. Quoi qu’il en soit, c’est la confusion des deux espèces d’ordre qu’on trouve derrière le relativisme des modernes, comme elle était déjà sous le dogmatisme des anciens.

Nous en avons assez dit pour marquer l’origine de cette confusion. Elle tient à ce que l’ordre « vital », qui est essentiellement création, se manifeste moins à nous dans son essence que dans quelques-uns de ses accidents : ceux-ci imitent l’ordre physique et géométrique ; ils nous présentent, comme lui, des répétitions qui rendent la généralisation possible, et c’est là tout ce qui nous importe. Il n’est pas douteux que la vie, dans son ensemble, soit une évolution, c’est-à-dire une transformation incessante. Mais la vie ne peut progresser que par l’intermédiaire des vivants, qui en sont dépositaires. Il faut que des milliers et des milliers d’entre eux, à peu près semblables, se répètent les uns les autres dans l’espace et dans le temps, pour que grandisse et mûrisse la nouveauté qu’ils élaborent. Tel, un livre qui s’acheminerait à sa refonte en traversant des milliers de tirages à des milliers d’exemplaires. Il y a toutefois cette différence entre les deux cas que les tirages successifs sont identiques, identiques aussi les exemplaires simultanés du même tirage, au lieu que, ni sur les divers points de l’espace ni aux divers moments du temps, les représentants d’une même espèce ne se ressemblent tout à fait. L’hérédité ne transmet pas seulement les caractères ; elle transmet aussi l’élan en vertu duquel les carac-