survit. L’objet de la philosophie serait atteint si cette intuition pouvait se soutenir, se généraliser, et surtout s’assurer des points de repère extérieurs pour ne pas s’égarer. Pour cela, un va-et-vient continuel est nécessaire entre la nature et l’esprit.
Quand nous replaçons notre être dans notre vouloir, et notre vouloir lui-même dans l’impulsion qu’il prolonge, nous comprenons, nous sentons que la réalité est une croissance perpétuelle, une création qui se poursuit sans fin. Notre volonté fait déjà ce miracle. Toute œuvre humaine qui renferme une part d’invention, tout acte volontaire qui renferme une part de liberté, tout mouvement d’un organisme qui manifeste de la spontanéité, apporte quelque chose de nouveau dans le monde. Ce ne sont là, il est vrai, que des créations de forme. Comment seraient-elles autre chose ? Nous ne sommes pas le courant vital lui-même ; nous sommes ce courant déjà chargé de matière, c’est-à-dire de parties congelées de sa substance qu’il charrie le long de son parcours. Dans la composition d’une œuvre géniale comme dans une simple décision libre, nous avons beau tendre au plus haut point le ressort de notre activité et créer ainsi ce qu’aucun assemblage pur et simple de matériaux n’aurait pu donner (quelle juxtaposition de courbes connues équivaudra jamais au trait de crayon d’un grand artiste ?), il n’y en a pas moins ici des éléments qui préexistent et survivent à leur organisation. Mais si un simple arrêt de l’action génératrice de la forme pouvait en constituer la matière (les lignes originales dessinées par l’artiste ne sont-elles pas déjà, elles-mêmes, la fixation et comme la congélation d’un mouvement ?), une création de matière ne serait ni incompréhensible ni inadmissible. Car nous saisissons du dedans, nous vivons à tout instant une création de forme,