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GENÈSE IDÉALE DE LA MATIÈRE

mais limitons à ce système relativement clos, comme aux autres systèmes relativement clos, les deux lois les plus générales de notre science, le principe de la conservation de l’énergie et celui de la dégradation. Voyons ce qui en résultera. Il faut d’abord remarquer que ces deux principes n’ont pas la même portée métaphysique. Le premier est une loi quantitative, et par conséquent relative, en partie, à nos procédés de mesure. Il dit que, dans un système supposé clos, l’énergie totale, c’est-à-dire la somme des énergies cinétique et potentielle, reste constante. Or, s’il n’y avait que de l’énergie cinétique dans le monde, ou même s’il n’y avait, en outre de l’énergie cinétique, qu’une seule espèce d’énergie potentielle, l’artifice de la mesure ne suffirait pas à rendre la loi artificielle. La loi de conservation de l’énergie exprimerait bien que quelque chose se conserve en quantité constante. Mais il y a en réalité des énergies de nature diverse[1], et la mesure de chacune d’elles a été évidemment choisie de manière à justifier le principe de la conservation de l’énergie. La part de convention inhérente à ce principe est donc assez grande, encore qu’il y ait sans doute, entre les variations des diverses énergies composant un même système, une solidarité qui a précisément rendu possible l’extension du principe par des mesures convenablement choisies. Si donc le philosophe fait application de ce principe à l’ensemble du système solaire, il devra tout au moins en estomper les contours. La loi de conservation de l’énergie ne pourra plus exprimer ici la permanence objective d’une certaine quantité d’une certaine chose, mais plutôt la nécessité pour tout changement qui se produit d’être contre-balancé,

  1. Sur ces différences de qualité, voir l’ouvrage de Duhem, L’évolution de la mécanique, Paris, 1905, p. 197 et suiv.