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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

nombre dont la nature est le théâtre. De là une désharmonie frappante et choquante, mais dont nous ne devons pas rendre responsable le principe même de la vie.

La part de la contingence est donc grande dans l’évolution. Contingentes, le plus souvent, sont les formes adoptées, ou plutôt inventées. Contingente, relative aux obstacles rencontrés en tel lieu, à tel moment, la dissociation de la tendance primordiale en telles et telles tendances complémentaires qui créent des lignes divergentes d’évolution. Contingents les arrêts et les reculs ; contingentes, dans une large mesure, les adaptations. Deux choses seulement sont nécessaires : 1° une accumulation graduelle d’énergie, 2° une canalisation élastique de cette énergie dans des directions variables et indéterminables, au bout desquelles sont les actes libres.

Ce double résultat a été obtenu d’une certaine manière sur notre planète. Mais il eût pu l’être par de tout autres moyens. Point n’était nécessaire que la vie jetât son dévolu sur le carbone de l’acide carbonique principalement. L’essentiel était pour elle d’emmagasiner de l’énergie solaire ; mais, au lieu de demander au Soleil d’écarter les uns des autres, par exemple, des atomes d’oxygène et de carbone, elle eût pu (théoriquement du moins, et abstraction faite de difficultés d’exécution peut-être insurmontables) lui proposer d’autres éléments chimiques, qu’il aurait dès lors fallu associer ou dissocier par des moyens physiques tout différents. Et, si l’élément caractéristique des substances énergétiques de l’organisme eût été autre que le carbone, l’élément caractéristique des substances plastiques eût probablement été autre que l’azote. La chimie des corps vivants eût donc été radicalement différente de ce qu’elle est. Il en serait résulté des formes vivantes sans analogie avec celles que nous