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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

lument nouveau. Les systèmes délimités par la science ne durent que parce qu’ils sont indissolublement liés au reste de l’univers. Il est vrai que, dans l’univers lui-même, il faut distinguer, comme nous le dirons plus loin, deux mouvements opposés, l’un de « descente », l’autre de « montée ». Le premier ne fait que dérouler un rouleau tout préparé. Il pourrait, en principe, s’accomplir d’une manière presque instantanée, comme il arrive à un ressort qui se détend. Mais le second, qui correspond à un travail intérieur de maturation ou de création, dure essentiellement, et impose son rythme au premier, qui en est inséparable.

Rien n’empêche donc d’attribuer aux systèmes que la science isole une durée et, par là, une forme d’existence analogue à la nôtre, si on les réintègre dans le Tout. Mais il faut les y réintégrer. Et l’on en dirait autant, a fortiori, des objets délimités par notre perception. Les contours distincts que nous attribuons à un objet, et qui lui confèrent son individualité, ne sont que le dessin d’un certain genre d’influence que nous pourrions exercer en un certain point de l’espace : c’est le plan de nos actions éventuelles qui est renvoyé à nos yeux, comme par un miroir, quand nous apercevons les surfaces et les arêtes des choses. Supprimez cette action et par conséquent les grandes routes qu’elle se fraye d’avance, par la perception, dans l’enchevêtrement du réel, l’individualité du corps se résorbe dans l’universelle interaction qui est sans doute la réalité même.

Maintenant, nous avons considéré des objets matériels pris au hasard. N’y a-t-il pas des objets privilégiés ? Nous disions que les corps bruts sont taillés dans l’étoffe de la nature par une perception dont les ciseaux suivent, en