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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

cheminé d’autres tendances que la vie impliquait, dont l’homme a sans doute conservé quelque chose, puisque tout se compénètre, mais dont il n’a conservé que peu de chose. Tout se passe comme si un être indécis et flou, qu’on pourra appeler, comme on voudra, homme ou sur-homme, avait cherché à se réaliser, et n’y était parvenu qu’en abandonnant en route une partie de lui-même. Ces déchets sont représentés par le reste de l’animalité, et même par le monde végétal, du moins dans ce que ceux-ci ont de positif et de supérieur aux accidents de l’évolution.

De ce point de vue s’atténuent singulièrement les discordances dont la nature nous offre le spectacle. L’ensemble du monde organisé devient comme l’humus sur lequel devait pousser ou l’homme lui-même ou un être qui, moralement, lui ressemblât. Les animaux, si éloignés, si ennemis même qu’ils soient de notre espèce, n’en ont pas moins été d’utiles compagnons de route, sur lesquels la conscience s’est déchargée de ce qu’elle traînait d’encombrant, et qui lui ont permis de s’élever, avec l’homme, sur les hauteurs d’où elle voit un horizon illimité se rouvrir devant elle.

Il est vrai qu’elle n’a pas seulement abandonné en route un bagage embarrassant. Elle a dû renoncer aussi à des biens précieux. La conscience, chez l’homme, est surtout intelligence. Elle aurait pu, elle aurait dû, semble-t-il, être aussi intuition. Intuition et intelligence représentent deux directions opposées du travail conscient : l’intuition marche dans le sens même de la vie, l’intelligence va en sens inverse, et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière. Une humanité complète et parfaite serait celle où ces deux formes de l’activité consciente atteindraient leur plein dévelop-