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L’EXISTENCE ET LE NÉANT

tendons à créer cette image aboutit simplement à nous faire osciller entre la vision d’une réalité extérieure et celle d’une réalité interne. Dans ce va-et-vient de notre esprit entre le dehors et le dedans, il y a un point, situé à égale distance des deux, où il nous semble que nous n’apercevons plus l’un et que nous n’apercevons pas encore l’autre : c’est là que se forme l’image du néant. En réalité, nous apercevons alors l’un et l’autre, étant arrivés au point où les deux termes sont mitoyens, et l’image du néant, ainsi définie, est une image pleine de choses, une image qui renferme à la fois celle du sujet et celle de l’objet, avec, en plus, un saut perpétuel de l’une à l’autre et le refus de jamais se poser définitivement sur l’une d’elles. Il est évident que ce n’est pas ce néant-là que nous pourrions opposer à l’être, et mettre avant lui ou au-dessous de lui, puisqu’il renferme déjà l’existence en général. Mais on nous dira que, si la représentation du néant intervient, visible ou latente, dans les raisonnements des philosophes, ce n’est pas sous forme d’image, mais d’idée. On nous accordera que nous n’imaginons pas une abolition de tout, mais on prétendra que nous pouvons la concevoir. On entend, disait Descartes, un polygone de mille côtés, quoiqu’on ne le voie pas en imagination : il suffit qu’on se représente clairement la possibilité de le construire. De même pour l’idée d’une abolition de toutes choses. Rien de plus simple, dira-t-on, que le procédé par lequel on en construit l’idée. Il n’est pas un seul objet de notre expérience, en effet, que nous ne puissions supposer aboli. Étendons cette abolition d’un premier objet à un second, puis à un troisième, et ainsi de suite aussi longtemps qu’on voudra : le néant n’est pas autre chose que la limite où tend l’opération. Et le néant ainsi défini est bien l’abolition du tout. — Voilà la thèse. Il suffit de la