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Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/324

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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

une interférence, entre ce sentiment de préférence et cette idée de substitution.

Tel est le mécanisme de l’opération par laquelle notre esprit abolit un objet et arrive à se représenter, dans le monde extérieur, un néant partiel. Voyons maintenant comment il se le représente à l’intérieur de lui-même. Ce que nous constatons en nous, ce sont encore des phénomènes qui se produisent, et non pas, évidemment, des phénomènes qui ne se produisent pas. J’éprouve une sensation ou une émotion, je conçois une idée, je prends une résolution : ma conscience perçoit ces faits qui sont autant de présences, et il n’y a pas de moment où des faits de ce genre ne me soient présents. Je puis sans doute interrompre, par la pensée, le cours de ma vie intérieure, supposer que je dors sans rêve ou que j’ai cessé d’exister ; mais, à l’instant même où je fais cette supposition, je me conçois, je m’imagine veillant sur mon sommeil ou survivant à mon anéantissement, et je ne renonce à me percevoir du dedans que pour me réfugier dans la perception extérieure de moi-même. C’est dire qu’ici encore le plein succède toujours au plein, et qu’une intelligence qui ne serait qu’intelligence, qui n’aurait ni regret ni désir, qui règlerait son mouvement sur le mouvement de son objet, ne concevrait même pas une absence ou un vide. La conception d’un vide naît ici quand la conscience, retardant sur elle-même, reste attachée au souvenir d’un état ancien alors qu’un autre état est déjà présent. Elle n’est qu’une comparaison entre ce qui est et ce qui pourrait ou devrait être, entre du plein et du plein. En un mot, qu’il s’agisse d’un vide de matière ou d’un vide de conscience, la représentation du vide est toujours une représentation pleine, qui se résout à l’analyse en deux éléments positifs ; l’idée, distincte ou confuse, d’une substi-