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Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/329

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L’EXISTENCE ET LE NÉANT

que ce seraient des idées négatives. En affirmant une chose, puis une autre chose, et ainsi de suite indéfiniment, je forme l’idée de Tout : de même, en niant une chose, puis les autres choses, enfin en niant Tout, on arriverait à l’idée de Rien. Mais c’est justement cette assimilation qui nous paraît arbitraire. On ne voit pas que, si l’affirmation est un acte complet de l’esprit, qui peut aboutir à constituer une idée, la négation n’est jamais que la moitié d’un acte intellectuel dont on sous-entend ou plutôt dont on remet à un avenir indéterminé l’autre moitié. On ne voit pas non plus que, si l’affirmation est un acte de l’intelligence pure, il entre dans la négation un élément extra-intellectuel, et que c’est précisément à l’intrusion d’un élément étranger que la négation doit son caractère spécifique.

Pour commencer par le second point, remarquons que nier consiste toujours à écarter une affirmation possible[1]. La négation n’est qu’une attitude prise par l’esprit vis-à-vis d’une affirmation éventuelle. Quand je dis : « cette table est noire », c’est bien de la table que je parle : je l’ai vue noire, et mon jugement traduit ce que j’ai vu. Mais si je dis : « cette table n’est pas blanche », je n’exprime sûrement pas quelque chose que j’aie perçu, car j’ai vu du noir, et non pas une absence de blanc. Ce n’est donc pas, au fond, sur la table elle-même que je porte ce jugement, mais plutôt sur le jugement qui la déclarerait blanche. Je juge un jugement, et non pas la table. La proposition « cette table n’est pas blanche » implique que vous pourriez la croire blanche, que vous la croyiez telle

  1. Kant, Critique de la raison pure, 2e édit., p. 737 : « Au point de vue du contenu de notre connaissance en général,… les propositions négatives ont pour fonction propre simplement d’empêcher l’erreur. » Cf. Sigwart, Logik, 2e édit., vol. I, p. 150 et suiv.