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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

La méthode cinématographique est donc la seule pratique, puisqu’elle consiste à régler l’allure générale de la connaissance sur celle de l’action, en attendant que le détail de chaque acte se règle à son tour sur celui de la connaissance. Pour que l’action soit toujours éclairée, il faut que l’intelligence y soit toujours présente ; mais l’intelligence, pour accompagner ainsi la marche de l’activité et en assurer la direction, doit commencer par en adopter le rythme. Discontinue est l’action, comme toute pulsation de vie ; discontinue sera donc la connaissance. Le mécanisme de la faculté de connaître a été construit sur ce plan. Essentiellement pratique, peut-il servir, tel quel, à la spéculation ? Essayons, avec lui, de suivre la réalité dans ses détours, et voyons ce qui va se passer.

Sur la continuité d’un certain devenir j’ai pris une série de vues que j’ai reliées entre elles par « le devenir » en général. Mais il est entendu que je ne puis en rester là. Ce qui n’est pas déterminable n’est pas représentable : du « devenir en général » je n’ai qu’une connaissance verbale. Comme la lettre x désigne une certaine inconnue, quelle qu’elle soit, ainsi mon « devenir en général », toujours le même, symbolise ici une certaine transition sur laquelle j’ai pris des instantanés : de cette transition même il ne m’apprend rien. Je vais donc me concentrer tout entier sur la transition et, entre deux instantanés, chercher ce qui se passe. Mais, puisque j’applique la même méthode, j’arrive au même résultat ; une troisième vue va simplement s’intercaler entre les deux autres. Indéfiniment je recommencerai, et indéfiniment je juxtaposerai des vues à des vues, sans obtenir autre chose. L’application de la méthode cinématographique aboutira donc ici à un perpétuel recommencement, où l’esprit, ne trouvant jamais à se satisfaire et ne voyant nulle part où se poser,