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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

elle est, pendant tout le temps qu’elle se meut, immobile.

Oui, si nous supposons que la flèche puisse jamais être en un point de son trajet. Oui, si la flèche, qui est du mouvant, coïncidait jamais avec une position, qui est de l’immobilité. Mais la flèche n’est jamais en aucun point de son trajet. Tout au plus doit-on dire qu’elle pourrait y être, en ce sens qu’elle y passe et qu’il lui serait loisible de s’y arrêter. Il est vrai que, si elle s’y arrêtait, elle y resterait, et que ce ne serait plus, en ce point, à du mouvement que nous aurions affaire. La vérité est que, si la flèche part du point A pour retomber au point B, son mouvement AB est aussi simple, aussi indécomposable, en tant que mouvement, que la tension de l’arc qui la lance. Comme le shrapnell, éclatant avant de toucher terre, couvre d’un indivisible danger la zone d’explosion, ainsi la flèche qui va de A en B déploie d’un seul coup, quoique sur une certaine étendue de durée, son indivisible mobilité. Supposez un élastique que vous tireriez de A en B ; pourriez-vous en diviser l’extension ? La course de la flèche est cette extension même, aussi simple qu’elle, indivisée comme elle. C’est un seul et unique bond. Vous fixez un point C dans l’intervalle parcouru, et vous dites qu’à un certain moment la flèche était en C. Si elle y avait été, c’est qu’elle s’y serait arrêtée, et vous n’auriez plus une course de A en B, mais deux courses, l’une de A en C, l’autre de C en B, avec un intervalle de repos. Un mouvement unique est tout entier, par hypothèse, mouvement entre deux arrêts : s’il y a des arrêts intermédiaires, ce n’est plus un mouvement unique. Au fond, l’illusion vient de ce que le mouvement, une fois effectué, a déposé le long de son trajet une trajectoire immobile sur laquelle on peut