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PLATON ET ARISTOTE

d’homme ne sont plus alors que des arrêts virtuels, simples vues de l’esprit : nous avons affaire, cette fois, au mouvement objectif lui-même, et non plus à son imitation cinématographique. Mais la première manière de s’exprimer est seule conforme à nos habitudes de langage. Il faudrait, pour adopter la seconde, se soustraire au mécanisme cinématographique de la pensée.

Il en faudrait faire abstraction complète, pour dissiper d’un seul coup les absurdités théoriques que la question du mouvement soulève. Tout est obscurité, tout est contradiction quand on prétend, avec des états, fabriquer une transition. L’obscurité se dissipe, la contradiction tombe dès qu’on se place le long de la transition, pour y distinguer des états en y pratiquant par la pensée des coupes transversales. C’est qu’il y a plus dans la transition que la série des états, c’est-à-dire des coupes possibles, plus dans le mouvement que la série des positions, c’est-à-dire des arrêts possibles. Seulement, la première manière de voir est conforme aux procédés de l’esprit humain ; la seconde exige au contraire qu’on remonte la pente des habitudes intellectuelles. Faut-il s’étonner si la philosophie a d’abord reculé devant un pareil effort ? Les Grecs avaient confiance dans la nature, confiance dans l’esprit laissé à son inclination naturelle, confiance dans le langage surtout, en tant qu’il extériorise la pensée naturellement. Plutôt que de donner tort à l’attitude que prennent, devant le cours des choses, la pensée et le langage, ils aimèrent mieux donner tort au cours des choses.

C’est ce que firent sans ménagement les philosophes de l’école d’Élée. Comme le devenir choque les habitudes de la pensée et s’insère mal dans les cadres du langage, ils le déclarèrent irréel. Dans le mouvement spatial et dans le changement en général ils ne virent qu’illusion pure. On