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PLATON ET ARISTOTE

à la conception de l’Idée qui se pose elle-même. Ainsi procède le philosophe en face de l’univers. L’expérience fait passer sous ses yeux des phénomènes qui courent, eux aussi, les uns derrière les autres dans un ordre accidentel, déterminé par les circonstances de temps et de lieu. Cet ordre physique, véritable affaissement de l’ordre logique, n’est point autre chose que la chute du logique dans l’espace et le temps. Mais le philosophe, remontant du percept au concept, voit se condenser en logique tout ce que le physique avait de réalité positive. Son intelligence, faisant abstraction de la matérialité qui distend l’être, le ressaisit en lui-même dans l’immuable système des Idées. Ainsi s’obtient la Science, laquelle nous apparaît, complète et toute faite, dès que nous remettons notre intelligence à sa vraie place, corrigeant l’écart qui la séparait de l’intelligible. La science n’est donc pas une construction humaine. Elle est antérieure à notre intelligence, indépendante d’elle, véritablement génératrice des choses.

Et en effet, si l’on tenait les Formes pour de simples vues prises par l’esprit sur la continuité du devenir, elles seraient relatives à l’esprit qui se les représente, elles n’auraient pas d’existence en soi. Tout au plus pourrait-on dire que chacune de ces Idées est un idéal. Mais c’est dans l’hypothèse contraire que nous nous sommes placés. Il faut donc que les Idées existent par elles-mêmes. La philosophie antique ne pouvait échapper à cette conclusion. Platon la formula, et c’est en vain qu’Aristote essaya de s’y soustraire. Puisque le mouvement naît de la dégradation de l’immuable, il n’y aurait pas de mouvement, pas de monde sensible par conséquent, s’il n’y avait, quelque part, l’immutabilité réalisée. Aussi, ayant commencé par refuser aux Idées une exis-