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VIEILLISSEMENT ET INDIVIDUALITÉ

de la cellule. Mais sous ces effets visibles se dissimule une cause intérieure. L’évolution de l’être vivant, comme celle de l’embryon, implique un enregistrement continuel de la durée, une persistance du passé dans le présent, et par conséquent une apparence au moins de mémoire organique.

L’état présent d’un corps brut dépend exclusivement de ce qui se passait à l’instant précédent. La position des points matériels d’un système défini et isolé par la science est déterminée par la position de ces mêmes points au moment immédiatement antérieur. En d’autres termes, les lois qui régissent la matière inorganisée sont exprimables, en principe, par des équations différentielles dans lesquelles le temps (au sens où le mathématicien prend ce mot) jouerait le rôle de variable indépendante. En est-il ainsi des lois de la vie ? L’état d’un corps vivant trouve-t-il son explication complète dans l’état immédiatement antérieur ? Oui, si l’on convient, a priori, d’assimiler le corps vivant aux autres corps de la nature et de l’identifier, pour les besoins de la cause, avec les systèmes artificiels sur lesquels opèrent le chimiste, le physicien et l’astronome. Mais en astronomie, en physique et en chimie, la proposition a un sens bien déterminé : elle signifie que certains aspects du présent, importants pour la science, sont calculables en fonction du passé immédiat. Rien de semblable dans le domaine de la vie. Ici le calcul a prise, tout au plus, sur certains phénomènes de destruction organique. De la création organique, au contraire, des phénomènes évolutifs qui constituent proprement la vie, nous n’entrevoyons même pas comment nous pourrions les soumettre à un traitement mathématique. On dira que cette impuissance ne tient qu’à notre ignorance. Mais elle peut aussi bien exprimer que le moment actuel d’un corps