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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

paraît être tout autre chose. Non seulement l’hypothèse d’une équivalence entre l’état psychologique et l’état cérébral implique une véritable absurdité, comme nous avons essayé de le prouver dans un travail antérieur, mais les faits, interrogés sans parti pris, semblent bien indiquer que la relation de l’un à l’autre est précisément celle de la machine à l’écrou. Parler d’une équivalence entre les deux termes, c’est simplement tronquer — en la rendant à peu près inintelligible — la métaphysique spinoziste ou leibnizienne. On accepte cette philosophie, telle quelle, du côté Étendue, mais on la mutile du côté Pensée. Avec Spinoza, avec Leibniz, on suppose achevée la synthèse unificatrice des phénomènes de la matière : tout s’y expliquerait mécaniquement. Mais, pour les faits conscients, on ne pousse plus la synthèse jusqu’au bout. On s’arrête à mi-chemin. On suppose la conscience coextensive à telle ou telle partie de la nature, et non plus a la nature entière. On aboutit, ainsi, tantôt à un « épiphénoménisme » qui attache la conscience à certaines vibrations particulières et la met çà et là dans le monde, à l’état sporadique, tantôt à un « monisme » qui éparpille la conscience en autant de petits grains qu’il y a d’atomes. Mais, dans un cas comme dans l’autre, c’est à un spinozisme ou à un leibnizianisme incomplets qu’on revient. Entre cette conception de la nature et le cartésianisme on retrouverait d’ailleurs les intermédiaires historiques. Les médecins philosophes du XVIIIe siècle, avec leur cartésianisme rétréci, ont été pour beaucoup dans la genèse de l’ « épiphénoménisme » et du « monisme » contemporains.

Ces doctrines se trouvent ainsi retarder sur la critique kantienne. Certes, la philosophie de Kant est imbue, elle aussi, de la croyance à une science une et intégrale, em-