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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

canisme elle retient tout le dessin ; elle y met simplement d’autres couleurs. Mais c’est le dessin lui-même, ou tout au moins une moitié du dessin, qui est à refaire.

Il faudrait pour cela, il est vrai, renoncer à la méthode de construction, qui fut celle des successeurs de Kant. Il faudrait faire appel à l’expérience, — à une expérience épurée, je veux dire dégagée, là où il le faut, des cadres que notre intelligence a constitués au fur et à mesure des progrès de notre action sur les choses. Une expérience de ce genre n’est pas une expérience intemporelle. Elle cherche seulement, par delà le temps spatialisé où nous croyons apercevoir des réarrangements continuels entre les parties, la durée concrète où s’opère sans cesse une refonte radicale du tout. Elle suit le réel dans toutes ses sinuosités. Elle ne nous conduit pas, comme la méthode de construction, à des généralités de plus en plus hautes, étages superposés d’un magnifique édifice. Du moins ne laisse-t-elle pas de jeu entre les explications qu’elle nous suggère et les objets qu’il s’agit d’expliquer. C’est le détail du réel qu’elle prétend éclaircir, et non plus seulement l’ensemble.


Que la pensée du dix-neuvième siècle ait réclamé une philosophie de ce genre, soustraite à l’arbitraire, capable de descendre au détail des faits particuliers, cela n’est pas douteux. Incontestablement aussi, elle a senti que cette philosophie devait s’installer dans ce que nous appelons la durée concrète. L’avènement des sciences morales, le progrès de la psychologie, l’importance croissante de l’embryologie parmi les sciences biologiques, tout cela devait suggérer l’idée d’une réalité qui dure intérieurement, qui est la durée même. Aussi, quand un penseur surgit qui annonça une doctrine d’évolution, où le progrès de la