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LE FINALISME RADICAL

subordonnant l’existence de ce petit organisme à la vie du grand, nous acceptons le principe d’une finalité externe. La conception d’une finalité toujours interne se détruit ainsi elle-même. Un organisme est composé de tissus dont chacun vit pour son compte. Les cellules dont les tissus sont faits ont aussi une certaine indépendance. À la rigueur, si la subordination de tous les éléments de l’individu à l’individu lui-même était complète, on pourrait refuser de voir en eux des organismes, réserver ce nom à l’individu, et ne parler que de finalité interne. Mais chacun sait que ces éléments peuvent posséder une véritable autonomie. Sans parler des phagocytes, qui poussent l’indépendance jusqu’à attaquer l’organisme qui les nourrit, sans parler des cellules germinales, qui ont leur vie propre à côté des cellules somatiques, il suffit de mentionner les faits de régénération : ici un élément ou un groupe d’éléments manifeste soudain que si, en temps normal, il s’assujettissait à n’occuper qu’une petite place et à n’accomplir qu’une fonction spéciale, il pouvait faire beaucoup plus, il pouvait même, dans certains cas, se considérer comme l’équivalent du tout.

Là est la pierre d’achoppement des théories vitalistes. Nous ne leur reprocherons pas, comme on le fait d’ordinaire, de répondre à la question par la question même. Sans doute le « principe vital » n’explique pas grand’chose : du moins a-t-il l’avantage d’être une espèce d’écriteau posé sur notre ignorance et qui pourra nous la rappeler à l’occasion[1], tandis que le mécanisme nous

  1. Il y a en effet deux parts à faire dans le néo-vitalisme contemporain : d’un côté l’affirmation que le mécanisme pur est insuffisant, affirmation qui prend une grande autorité quand elle émane d’un savant tel que Driesch ou Reinke, par exemple, et d’autre part les hypothèses que ce vitalisme superpose