Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
DISCUSSION D'UN EXEMPLE

infiniment compliquées se sont sommées, de part et d’autre, dans un même effet. De cet effet on osera à peine dire, d’ailleurs, que ce soit un phénomène d’ « adaptation » : comment parler d’adaptation, comment faire appel à la pression des circonstances extérieures, alors que l’utilité même de la génération sexuée n’est pas apparente, qu’on a pu l’interpréter dans les sens les plus divers, et que d’excellents esprits voient dans la sexualité de la plante, tout au moins, un luxe dont la nature aurait pu se passer[1] ? Mais nous ne voulons pas nous appesantir sur des faits aussi controversés. L’ambiguïté du terme « adaptation », la nécessité de dépasser tout à la fois le point de vue de la causalité mécanique et celui de la finalité anthropomorphique, apparaîtront plus clairement sur des exemples plus simples. De tout temps, la doctrine de la finalité a tiré parti de la structure merveilleuse des organes des sens pour assimiler le travail de la nature à celui d’un ouvrier intelligent. Comme, d’ailleurs, ces organes se retrouvent, à l’état rudimentaire, chez les animaux inférieurs, comme la nature nous offre tous les intermédiaires entre la tache pigmentaire des organismes les plus simples et l’œil infiniment compliqué des Vertébrés, on pourra aussi bien faire intervenir ici le jeu tout mécanique de la sélection naturelle déterminant une perfection croissante. Enfin, s’il y a un cas où l’on semble avoir le droit d’invoquer l’adaptation, c’est celui-ci. Car, sur le rôle et la signification de la génération sexuée, sur la relation qui la lie aux conditions où elle s’accomplit, on peut discuter : mais le rapport de l’œil à la lumière est manifeste, et quand on parle ici d’adaptation, on doit savoir ce qu’on veut dire. Si

  1. Möbius, Beiträge zur Lehre von der Fortpflanzung der Gewächse, Iena, 1897, p. 203-206 en particulier. — Cf. Hartog, Sur les phénomènes de reproduction (Année biologique, 1895, p. 707-709).