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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

dans la rétine des Invertébrés. Or, on discute sans doute sur l’origine des Mollusques, mais, à quelque opinion qu’on se rallie, on accordera que Mollusques et Vertébrés se sont séparés de leur tronc commun bien avant l’apparition d’un œil aussi complexe que celui du Peigne. D’où vient alors l’analogie de structure ?

Interrogeons sur ce point, tour à tour, les deux systèmes opposés d’explication évolutioniste, l’hypothèse de variations purement accidentelles, et celle d’une variation dirigée dans un sens défini sous l’influence des conditions extérieures.

Pour ce qui est de la première, on sait qu’elle se présente aujourd’hui sous deux formes assez différentes. Darwin avait parlé de variations très légères, qui s’additionneraient entre elles par l’effet de la sélection naturelle. Il n’ignorait pas les faits de variation brusque ; mais ces « sports », comme il les appelait, ne donnaient, selon lui, que des monstruosités incapables de se perpétuer, et c’est par une accumulation de variations insensibles qu’il rendait compte de la genèse des espèces[1]. Telle est encore l’opinion de beaucoup de naturalistes. Elle tend pourtant à céder la place à l’idée opposée : c’est tout d’un coup, par l’apparition simultanée de plusieurs caractères nouveaux, assez différents des anciens, que se constituerait une espèce nouvelle. Cette dernière hypothèse, déjà émise par divers auteurs, notamment par Bateson dans un livre remarquable[2], a pris une signification profonde et acquis une très grande force depuis les belles expériences de Hugo de Vries. Ce botaniste, opé-

  1. Darwin, Origine des espèces, trad. Barbier, Paris, 1887, p. 46.
  2. Bateson, Materials for the study of variation, London, 1894, surtout p. 567 et suiv. Cf. Scott, Variations and mutations (American Journal of Science, novembre 1894).