Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/10

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cation puisse aussi bien se loger ; elle ne convient qu’à lui, il ne se prête qu’à elle. Telle peut être l’explication scientifique. Elle comporte la précision absolue et une évidence complète ou croissante. En dirait-on autant des théories philosophiques ?

Une doctrine nous avait paru jadis faire exception, et c’est probablement pourquoi nous nous étions attaché à elle dans notre première jeunesse. La philosophie de Spencer visait à prendre l’empreinte des choses et à se modeler sur le détail des faits. Sans doute elle cherchait encore son point d’appui dans des généralités vagues. Nous sentions bien la faiblesse des Premiers Principes. Mais cette faiblesse nous paraissait tenir à ce que l’auteur, insuffisamment préparé, n’avait pu approfondir les « idées dernières » de la mécanique. Nous aurions voulu reprendre cette partie de son œuvre, la compléter et la consolider. Nous nous y essayâmes dans la mesure de nos forces. C’est ainsi que nous fûmes conduit devant l’idée de Temps. Là, une surprise nous attendait.

Nous fûmes très frappé en effet de voir comment le temps réel, qui joue le premier rôle dans toute philosophie de l’évolution, échappe aux mathématiques. Son essence étant de passer, aucune de ses parties n’est encore là quand une autre se présente. La superposition de partie à partie en vue de la mesure est donc impossible, inimaginable, inconcevable. Sans doute il entre dans toute mesure un élément de convention, et il est rare que deux grandeurs, dites égales, soient directement superposables entre elles. Encore faut-il que la superposition soit possible pour un de leurs aspects ou de leurs effets qui conserve quelque chose d’elles : cet effet, cet aspect sont alors ce qu’on mesure. Mais, dans le cas du temps, l’idée de superposition impli-